Par Denis Ladous, administrateur URACS
Difficile de trouver encore d’autres mots que ceux, bien insuffisants à décrire cette incroyable réalité, de l’horreur, de la révolte, mais aussi de la compassion,de la fraternité, de la solidarité, du dialogue plus que jamais nécessaires, tous ces mots déjà largement énoncés par beaucoup. Difficile de s’abstraire de l’abondance des commentaires, des informations. Difficile de se poser les bonnes questions au milieu de cette gigantesque décharge médiatique et de cette recherche compulsive de sécurité. Difficile d’y voir clair, là tout de suite, dans ce qu’il y a à faire. Il me faut donc tenter un début d’exploration dans des régions qui me semblent avoir été moins visitées.
Je pense aux victimes, directes et indirectes, aux blessés à vie, aux témoins, à toutes les familles terriblement affligées, totalement désorientées, mais aussi, par répercussion, aux autres victimes que sont nos sœurs et nos frères musulmans. Doublement victimes, entre deux feux, dans une situation qui fait long feux : quotidiennement victimes dans leur pays d’origine et dans leur pays d’adoption, victimes, immédiates et potentielles, de la haine et du rejet attisés par ces attentats qui confortent opportunément un certain nombre de nos compatriotes dans leur amalgame. Et je me dis : que devons nous faire avec nos sœurs et nos frères musulmans ? Que devons-nous faire avec ceux qui les rejettent ?
Je pense à notre mission, à notre idéal partagé de transformation sociale, à cette utopie (?) , confrontés à d’autres idéaux puissants que sont le profit, voire la prédation, l’enrichissement personnel, la consommation, une croissance pour les plus riches ou les moins pauvres, la sécurité à tout prix … d’une part, le retour à de pratiques moyenâgeuses, le fanatisme, l’intolérance absolue … d’autre part, les deux assortis, à des degrés divers, de violence et de désir de domination. Les deux se défiant, se confortant par leur affrontement … et nous, avec beaucoup d’autres, qui rejetons puissance et violence, mais plus humains, mais plus libres. Alors quelles stratégies pour la transformation sociale telle que nous la concevons ensemble, dans ce monde qui produit ses désaxés, ses paumés, ses malheureux et qui sait les exploiter, mais qui est quand même notre monde, celui dans lequel nous vivons ?
Et puis il y a ce schéma de « la haine de l’occident », qui se vérifie et se confirme, attentat après attentat. Une haine que l’occident alimente depuis fort longtemps par des actes également barbares et inhumains, peu souvent regrettés, peu souvent expiés, bien installés dans l’inconscient collectif de tous les peuples que nous avons dominés et que nous entendons dominer encore. Alors quelle est notre responsabilité à nous, dans cette domination et dans cette amnésie, comment partager, à notre niveau, la mémoire, le regret, le désir de repartir égaux en humanité, et avec qui ?
Ces questions se rejoignent dans un « que faut-il faire ? », que nous pouvons envisager selon les deux paradigmes de « réforme et révolution » , titre d’un ouvrage d’André Gorz dont nous pourrions nous inspirer. Envisager ce questionnement, se donner envie pour agir, dans le cadre de nos valeurs, avec les moyens et la force de notre mouvement, nourrir notre futur projet d’une réflexion largement commune … produit d’une université populaire made in centres sociaux ?